13 Octobre 2001
La Chine et sa séquence de modernisation
Jorge Braga de Macedo et Eric Burgeat, OECD
1. Introduction
L’expérience des quatre modernisation successives de la Chine, l’agriculture, l’industrie, la défense, la technologie continue à avoir un intérêt décisif pour la communauté internationale du développement. L' entrée à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) annonce une cinquième modernisation, institutionnelle. A l’OCDE, le Centre de Développement, avec lequel des institutions chinoises travaillent depuis vingt ans, et le Centre pour la Coopération avec les Non Membres (CCNM), dont le programme Chine est l’un des plus actifs et ambitieux, se sont mis ensemble pour présenter un aperçu des perspectives institutionnelles qui découlent de la libéralisation économique chinoise. Cet aperçu a été présenté à une conférence sur la Chine à la Fondation Singer-Polignac le 11 Octobre 2001. Nous remercions les participants et nos collègues, Ki Fukasaku et Frédéric Langer, de leurs commentaires.
Nous commençons par rappeller ce qu’il convient d’appeller "l’énigme chinoise", non seulement celui qui porte sur les chiffres du revenu par tête ($3259 d’après Maddison 2001, p. 322) et le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) mais aussi celui qui tient aux sources de cette croissance. Nous soutenons ensuite que la libéralisation commerciale et financière aura un effet systémique sur le secteur public chinois. Pour Bittner (2001), le processus de libéralisation économique que suit actuellement la Chine dans le cadre de son adhésion à l’OMC se traduit déjà par d’importantes réallocations sectorielle qui pourront avoir des coûts économiques et sociaux élevés à court terme mais qui auront des effets bénéfiques majeurs sur la croissance à moyen terme.
En conclusion, nous suggérons des parallèles avec la construction européenne, notamment la construction du marché unique et la mobilité des administrations publiques.
2. L’énigme chinoise
L’une des conséquences majeures de la globalisation des marchés et de l’information est la tendance à comparer les performances des divers pays ou régions du globe. Ainsi nombreuses études se sont intéressées à la convergence internationales des niveaux de vie. En particulier, il s’agit de saisir un pays dont le rendement par tête est plus bas a tendance à croître plus vite qu’un pays dont le rendement par tête est plus haut. Après avoir confirmé que cette hypothèse n’est pas vérifiée par les données économiques de 117 pays (couvrant environ 90% de la population mondiale en 1985), Sachs et Warner (1995) proposent de diviser les pays d’après leurs politiques commerciales et leurs institutions de protection des droits de propriété. Ils se rendent compte alors que l’hypothèse de la convergence se vérifie pour les pays ouverts et qui protègent les droits de propriété, alors qu’elle ne se vérifie pas pour les autres.
Ainsi, pour 88 pays dont le rendement par tête était inférieur à $4000 en 1970, il n’y a pas un seul cas de croissance lente parmi ceux dont les politiques étaient "appropriées". Par contre, il n’y a que sept pays dont la croissance a été rapide malgré des politiques "non appropriées" : Botswana, Cap Vert, Chine, Hongrie, Lesotho, Thaïlande et Tunisie. Les résultats sont interprétés en termes de probabilités conditionnelles dans un monde à la Rawls où un pays ne connaît pas sa position et choisit une stratégie. Dans ce cas, si les politiques sont "fermées" la probabilité de croissance rapide est de 8% alors que si les politiques sont "ouvertes" la probabilité grimpe à 85% (Braga de Macedo 2000).
Accepter que le développement économique chinois est une énigme rejoint la littérature historique sur la révolution industrielle chinoise au XIVème siècle, récemment reinterprétée par Quah (1999) à la lumière de sa thèse sur l’économie sans poids, d’après laquelle l’absence de marché intérieur chinois est responsible de l’avortement de cette révolution, malgré la présence dans la Chine de Yuan d’une technologie aussi avancée que celle dont disposerait la Grande-Bretagne quatre siècles plus tard. L’empire de l’état était telle qu’il n’y avait pas de demande du marché pour cette technologie : elle a donc disparu après 1400.
Pour la deuxième moitié du XXe siècle, Maddison (2001) associe à la politique d’ouverture de 1978 une croissance spectaculaire, au point qu’en 2015 le PIB serait de l’ordre de celui des EUA (Maddison, 1998). Pour Wu et Xu (2001) le taux de croissance post-ouverture approcherait les 10% par na. Cependant, l’absence de données fiables sur le PIB par tête et sur les bases de prévision des taux de croissance économique des deux pays d´ici 2015 permet à Cooper (2001) de dire que le rapport entre PIB chinois et américain sera alors 25% plutôt que 100%.
Le fait que les sources de la croissance ne sont pas connues avec précision complique encore l´énigme chinoise. Wu (2001) construit une nouvelle série de la prodcution industrielle et compare la productivité du travail chinoise à celle des EUA (=100). Il définit un progrès de 3 en 1952 à 7.6 en 1997, mais avec une longue stagnation entre 1958 et 1990. En d' autre mot, l' ouverture peut dater de 1978 mais ce n’est-à-dire qu' au moment où les réformes du marché se sont approfondies que la productivité relative a augmenté.
D' après Maddison (2001, p. 153): «Jusqu'en 1978, presque toute l'économie était contrôlée et réglementée par l'État. La performance économique était bien meilleure que dans le passé et la structure économique du pays était transformée. L'accélération de la croissance était attribuable à une augmentation massive des apports en capital physique et humain, mais il fallait panser les blessures que la Chine s'était elle-même infligées avec le grand bond en avant et la révolution culturelle. Pendant presque toute la période maoïste, le pays a eu peu de contacts avec le monde extérieur. Entre 1952 et 1973, les États-Unis ont appliqué un embargo total sur le commerce, les voyages et les transactions financières, et l'URSS a fait de même à partir de 1960. L'allocation des ressources était extrêmement inefficace. La croissance de la Chine a été plus lente que celle des autres économies communistes et un peu inférieure à la moyenne mondiale.»
La situation initiale de la Chine pourrait être semblable à celle des pays moins développés, en ce qui concerne l’offre d' une main-d’oeuvre rurale surabondante, mais le fait que le transfert se soit fait directement par autorité plutôt qu' indirectement par le marché distingue le cas chinois de celui du Japon ou de Taiwan, pour citer les deux examples les plus frappants du "miracle économique asiatique", discutés par Raj (1988) et Ishikawa (1988) lors de la conférence du 25ème anniversaire du centre de croissance économique de Yale, organisée par Ranis et Schultz (1988).
Wu (2001) démontre que la productivité du travail et du capital baissaient avant les réformes de 1978, quand, pour citer de nouveau Maddison: «la performance chinoise est transformée par la libéralisation de l'économie. Le desserrement du contrôle de l'État sur l'agriculture a donné des résultats spectaculaires. Les petites industries ont connu un développement prodigieux, en particulier dans les régions rurales. Le monopole rigide sur les échanges internationaux et la politique d'autarcie ont été abandonnés après 1978. Les décisions concernant le commerce extérieur ont été décentralisées. Le yuan a été dévalué et la Chine est devenue hautement compétitive. Des zones spéciales d'activité ont été créées comme zones de libre-échange. Avec les mesures prises pour laisser jouer plus librement les forces du marché, la concurrence s'est renforcée, l'allocation des ressources s'est améliorée et la satisfaction des consommateurs a augmenté. Les interactions avec l'économie mondiale ont augmenté de façon prodigieuse avec l'expansion des échanges commerciaux, les apports d'investissements directs, le développement très important des possibilités d'étude et de voyages à l'étranger ainsi qu'avec les possibilités offertes aux étrangers de visiter la Chine. En même temps, la Chine a veillé à retenir son contrôle sur les mouvements des catégories de capitaux internationaux les plus volatiles. »
Malgré les spécificités du modèle économique utilisé en Chine, lesquelles sont rappelées notamment par Fureng (1988), la présence d´une offre infinie de main d´oeuvre à la Lewis limite évidemment les effets redistributifs négatifs du commerce inter-industriel par rapport à ceux que prévoit le modèle de commerce international sur lequel reposent les simulations d' équilibre général discutées dans la section suivante. De toute façon, depuis 1978, la Chine peut afficher l'un des taux de croissance du PIB par habitant les plus élevés au monde et son sentier de croissance est plus stable que celui de la plupart des pays d'Asie. De plus, d´après Wu (2001), la productivité du travail a augmenté et celle du capital est restée stable.
Malgré cela, d’importants problèmes ne sont pas encore résolus. Ainsi, reprend Maddison: «La Chine devra fermer quantité d’entreprises industrielles d’Etat, reliquat de la période maoïste. La plupart d’entre elles accusent des pertes substantielles. Elles survivent grâce aux subventions de l’Etat et au fait qu’elles ne remboursent pas les prêts que les banques d’Etat sont contraintes de leur accorder. L’importance relative de ces entreprises diminue notablement. En 1996, les entreprises industrielles publiques employaient 43 millions de salariés. En 1998, leur effectif était tombé à 24 millions. Le nombre des emplois publics dans le commerce de gros et de détail et la restauration a diminué, passant de 10.6 millions à 6.0 millions pendant la même période. Un autre problème majeur (lié au précédent) est le volume important des créances improductives du secteur bancaire, en grande partie contrôlé par l’Etat.»
Il semblerait donc que, après une décennie d' approfondissement des réformes économiques, le rôle du secteur public et financier continue plus proche du modèle de planification que de celui d’un marché libre. Bien que le portefeuille des créances improductives soit moins volumineux qu’au Japon, l’Etat n’alloue pas efficacement les ressources importantes qu’il draine grâce aux épargnants, alors que le secteur privé en plein essor manque cruellement de ressources, comme il est détaillé dans les sections suivantes, inspirées par Bittner (2001).
3. Les réallocations sectorielles
On considére généralement. que les coûts de la libéralisation des échanges sont plus importants dans un pays qui a des spécialisations sectorielles que dans celui dont le commerce est de nature intra-industrielle. L'ouverture implique alors un déplacement de ressources entre secteurs à l'intérieur du pays, celui-ci devant transférer ses facteurs de production vers les industries où il a un avantage comparatif et abandonner les secteurs où il a un désavantage et qui sont concurrencés par les importations.
L'expansion des échanges extérieurs de la Chine s'est fondée sur ses avantages comparatifs dans les industries de main-d'oeuvre. Elle a conservé des atouts dans le textile-habillement (actuellement autour des 20% de ses exportations) et, grâce à sa participation à la segmentation internationale des processus productifs, elle en a acquis d'autres en aval de plusieurs industries nouvelles (le matériel électrique et électronique représente plus de 20% de ses exportations).
L'impact macroéconomique et sectoriel d'une libéralisation des échanges extérieurs a fait l'objet d'estimations qui se fondent sur des modèles d'équilibre général. Les résultats diffèrent en fonction des hypothèses de libéralisation commerciale qu'ils retiennent, mais tous mettent en évidence l'impact positif sur la croissance économique des réallocations de ressources vers les secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre, au détriment des productions intensives en ressources naturelles ou des industries capitalistes. Les plus récentes de ces études simulent une libéralisation des échanges proche des termes de l'accord bilatéral sino-américain. Les résultats montrent que, par rapport à un scénario de non-accession, l’entrée de la Chine dans l’OMC se traduirait par une accélération de la croissance du PIB (gain de 1 point de croissance par an d’ici 2005) et du commerce extérieur (exportations et importations supérieures de 25% en 2005).
Le grand gagnant est le secteur textile-habillement. La suppression en 2005 des quotas textiles favorise les exportations, et l’expansion de la production de produits finis entraîne celle de produits intermédiaires. Les industries alimentaires bénéficient, elles, de la baisse des coûts d’inputs agricoles importés. Les perdants sont les producteurs de céréales et autres grandes cultures en raison de la forte expansion des importations, ainsi que la plupart des industries mécaniques. Ces secteurs, relativement intensifs en capital ou technologie, qui se sont développés à l’abri des protections, subissent de plein fouet le concurrence des produits importés.
Ces résultats doivent être interprétés avec précaution. Ainsi, la progression des échanges extérieurs sur la période 1999-2005 apparaît-elle beaucoup plus rapide dans le scénario d'accession que dans celui de non-accession (50% contre 20%) ; elle est cependant sensiblement plus lente que celle enregistrée de 1993 à 1999 (80%). D'autre part, les résultats des simulations donnent une image de la situation au terme d'ajustements dont les coûts économiques et sociaux ne sont pas pris en compte. Or ceux-ci seront inévitables et importants.
Les pertes d'emplois auront pour conséquence d'aggraver à court terme le chômage qui est déjà actuellement une source de tensions sociales. Dans le court terme, des transferts seront nécessaires pour indemniser ou soutenir les régions et les catégories sociales les plus affectées. A moyen terme, la mise en place d’un système efficace et soutenable de protection sociale et de promotion de l’esprit d’entreprise est nécessaire.
On a rappelé dans la section précédente le rôle des apports d'investissement directs en Chine, souligné aussi par Oman (1999, p. 56-61). Suite à l'accession, l'ouverture des services va aussi exposer à la concurrence étrangère des secteurs jusqu'ici très protégés (tels que le commerce et la distribution, les télécommunications, la banque et l'assurance) d'autre part, l'obligation de respecter les droits de propriété intellectuelle pourra mettre certains secteurs en difficulté.
L’ampleur des ajustements anticipés explique que l’entrée de la Chine dans l'OMC soit loin de faire l'unanimité, tant parmi les dirigeants politiques ou les experts, que dans l'opinion publique chinoise. Pour les partisans de l’adhésion, l’entrée dans l’OMC apparaît comme un moyen d’accélérer les restructurations et les réformes économiques, et donc comme une condition de la modernisation du pays et de sa croissance à long terme. La concurrence qui s’est développé sur le marché intérieur depuis le lancement des réformes a déjà amorcé l’élimination du capital obsolète. Dans le même temps, la vague d’investissements des années 1990 a créé des surcapacités industrielles qui poussent à l’élimination d'un certain nombre de producteurs ; l’entrée dans l’OMC devrait renforcer ce processus et la restructuration en cours du secteur des entreprises d’Etat.
L'industrie chinoise a été marquée ces vingt dernières années par la montée en puissance d’entreprises nouvelles, non étatiques. La production industrielles se partage actuellement entre les entreprises d'état (26% de la production), les entreprises collectives (36%), individuelles (16%), les entreprises à capitaux étrangers (14%), et les autres formes de propriété (7%). Les entreprises non étatiques ont de fortes positions dans les industries textile et alimentaire, ce qui leur permettra de tirer parti des bénéfices de l'adhésion de la Chine à l’OMC ; mais elles sont aussi très présentes dans des secteurs exposés à la concurrence internationale : c'est le cas des entreprises à capitaux étrangers dans l’industrie automobile, des entreprises collectives dans le secteur des machines. Les entreprises d’État sont globalement très sensibles à l'ouverture dans la mesure où elles sont concentrées dans les secteurs capitalistes. Cependant la capacité à résister à la concurrence ne suit pas nécessairement la ligne de partage des régimes de propriété. Le secteur d'État comme le secteur non étatique sont très hétérogènes.
Dans le secteur d'Etat, coexistent un grand nombre d'entreprises déficitaires et un noyau d’entreprises performantes susceptibles de jouer un rôle moteur dans la croissance. L'ouverture est un moyen d'accélérer le processus de sélection et de discipliner le comportement des entreprises. Cette pression ne pourra s'exercer que si les entreprises d’État sont déchargées de leurs fonctions périphériques, notamment en tant que pourvoyeur de toutes sortes de services sociaux. Les entreprises du secteur d’Etat pourront alors être soumises à une contrainte financière dure, appuyée sur un droit des faillites. Une partie des financements nécessaires à ces restructurations, et notamment à l’établissement d’un système de prestations sociales, peut provenir des ventes d’actifs. Ceci pousse à l’ouverture du capital des entreprieses d’Etat, déjà préconisée à l’automne 1998 par le Congrès du parti communiste. La libéralisation des échanges, qui n’aura qu’un faible impact direct sur le budget de l’Etat, aura ainsi des conséquences indirectes importantes sur les finances publiques. D' autant plus que la restructuration des dettes du secteur constitue un défi majeur.
Les entreprises privées et les sociétés à capitaux étrangers forment actuellement la catégorie la plus dynamique de l’économie. Pour les autorités chinoises, un secteur privé local fort est devenu un impératif, pour créer des emplois mais aussi pour occuper l’espace concurrentiel dans un environnement plus largement ouvert aux entreprises étrangères. Reconnu par la Constitution en 1999 et encouragé à étendre son champ d’activité, le secteur privé est appelé à prendre de l’ampleur pour peu qu’il puisse élargir ses sources de financement. Les banques chinoises prêtent aux entreprises d’Etat qui bénéficient d’une garantie implicite, et restreignent leurs prêts au secteur privé, faute d’une flexibilité suffisante des taux d’intérêt. La libéralisation des taux d’intérêt, qui est depuis longtemps considérée comme la condition d’un plus large accès des entreprises privées et collectives aux crédits bancaires, est de nouveau à l’ordre du jour. Ainsi le taux officiel des prêts est fixé actuellement à 5.85%, ayant été réduit de 10% à la fin 2000 à cause de l’affaiblissement de l’activité
4. La libéralisation impose une réforme systémique
La libéralisation des échanges n’aura donc des effets positifs que si les réformes de l’ensemble du système économique chinois sont menées de front. Le système bancaire sera ouvert aux investisseurs étrangers pour des opérations en monnaie locale deux ans après l’accession à l’OMC en ce qui concerne les entreprises et cinq ans après en ce qui concerne les individus. Le plus grave c’est que les quatre banques d’Etat (qui réalisent 80% de l’activité bancaire) sont en situation d’insolvabilité en raison de l’ampleur de leurs prêts non performants, évalués à au moins 25% de leurs actifs bancaires. En 1998, ces banques ont été recapitalisées et, fin 1999, une structure de cantonnement a été créee auprès de chacune d’elles, pour racheter les créances douteuses qui peuvent ensuite être échangées contre des participations au capital des entreprises.
Le processus n’en est qu’à ses débuts et prendra du temps ; ses effets sur la gestion des entreprises et l’arrêt des prêts non performants par les banques sont loin d’être assurés. Pour autant, ce n’est pas l’adhésion à l’OMC qui sera le facteur déterminant de l’évolution du secteur bancaire. Il est probable que, même après l’ouverture du secteur, les banques étrangères ne joueront qu’un rôle limité sur le marché chinois (comme c’est le cas déjà dans de nombreux pays d’Asie). Le principal risque vient de la mauvaise santé financière des banques chinoises et de leurs principaux clients.
Une autre réforme systématique essentielle est la création d’un véritable marché intérieur unique. Si on compare la Chine et l’Union Européenne, il est frappant de constater que l’aide apportée aux régions les plus pauvres est très faible au regard des fonds structurels européens. Alors que tout a été entrepris, en Europe, pour faciliter la libre circulation des biens, des capitaux, des hommes, la Chine semble aller dans le sens opposé. Avec la décentralisation importante mise en oeuvre depuis 20 ans, la Chine a vu s’accroître la parcellisation de son marché. La mobilité interne des factures est limitée. Les fiscalités entre les provinces sont fort distinctes, notamment en raison des prévèlevements extra-budgétaires des autorités locales. L’intégration interne de l’économie chinoise est une des conditions fondamentales pour permettre à la Chine de tirer parti de son intégration internationale accrue.
La croissance de l’économie chinoise déterminera aussi les gains que les pays industrialisés tireront de son ouverture. L’accentuation des spécialisations de la Chine est de nature à renforcer ses complémentaritiés économiques et commerciales avec les pays développés. Le Japon, premier fournisseur de la Chine (autour des 35 milliards de dollars), l’Union Européenne (autour des 26 milliards) et les Etats-Unis (20 milliards) seront les principaux bénéficiaires de l’expansion de la demande chinoise de biens industriels à forte intensité en capital et en technologie ainsi que de produits agricoles.
5. Conclusion
En conclusion, accéleration des réformes et stabilité sociale ne seront compatibles que dans un contexte de croissance économique soutenue. On peut aussi considérer la question du marché intérieur unique comme un aspect de la question plus générale de la gouvernance de la Chine. C’est un sujet sur lequel les occidentaux n’ont guère de conseils à donner à la Chine car l’expérience de gérer un pays aussi grand leur manque. Mais l’adhésion à l’OMC va obliger la Chine à des réformes réglementaires qui devraient être élargies et aboutir à la définition d’un nouveau rôle de l’Etat. La meilleure application des lois (par exemple pour la protection de la propriété intellectuelle), la transparence des règlements, la consultation du public, le transfert de l’autorité réglementaire à des agences indépendantes de l’Etat, l’amélioration de l’appareil judiciaire sont des réformes impulsées par l’adhésion à l’OMC mais qui ne pourront pas ne pas s’appliquer également à l’économie interne de la Chine et donc à sa société civile.
En dernière analyse, la question de la modernisation politico-institutionnelle, la fameuse "cinquième modernisation", se profile désormais à nouveau à l’horizon, cette fois-ci pour des raisons d’efficience économique, avec les dangers que cela comporte. Un bon exemple de cette cinquième modernisation, dont l’Ambassadeur Jianmin Wu a fait part à l’un d’entre nous, est le programme de mobilité dans l’administration provinciale, qui a permis au maire adjoint de Shanghai d’être placé à la tête de la province de Tiangsi, avec tout l’effet de changement de mentalité que l’on devine. Il suffit d’évoquer les difficultés de promouvoir la mobilité des administrations publiques au sein de l’Union Européenne pour voir à quel point cet exemple peut augmenter la capacité chinoise de répondre au défi de la cinquième modernisation. A ce niveau là, toutefois, l’évolution de la société civile sera certainement décisive en ce qui concerne la réponse au défi de la modernisation.
Références
Bittner, Fabrice (2001), Sur la libéralisation économique en Chine, manuscrit envoyé au Président du Centre de Développement de l'OCDE.
Braga de Macedo, Jorge (2000), Converging European Transitions, Technical Paper nº 161, OECD Development Centre, Juillet
Cooper, Richard (2001), correspondance privée dont copie a été envoyée au Président du Centre de Développement de l'OCDE.
Fukasaku, Ki (2001), commentaires sur Bittner
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Langer, Frédéric (2001), commentaires sur Bittner et conclusions envoyées au Directeur du CCNM
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Oman, Charles (1999), Quelles politiques pour attirer les investissements étrangers? Etudes du Centre de Développement de l’OCDE
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Wu, Harry and Xinpeng Xu (2001), A Fresh Scrutiny of the Performance in Chinese Manufacturing: Evidence from a Newly constructed Data Set, 1952-1997, papier presenté à un séminaire du Centre de Développement de l´OCDE, 3 Octobre